Enfin Capitaine !

Enfin Capitaine !“, 2e prix du 7e concours de nouvelles LES BONNES NOUVELLES DE L’ASSOCIATION SÉBASTOGRAPH’ sur le thème “J’ai 15ans…”

Nouvelle publiée dans Culture Provence

– Olivier !
Olivier se lève et va rejoindre l’équipe de droite.
– Stéphane !
Stéphane se lève et va rejoindre l ’équipe de gauche.
– Laurent !
L’adolescent se lève et va rejoindre l’équipe de droite.
– Frédéric!
Le collégien se lève et va rejoindre l’équipe de gauche.
– Paul !
– Sébastien !
Ted, assis sur le banc, attend son tour et espère que cette fois-ci, peut-être, ce sera différent. Il sait pourtant ce qui va se passer. Pourquoi la scène varierait-elle d’un iota ? C’est ce qu’il appelle l’humiliation hebdomadaire.
Oui, il n’est pas bon en sport. Mais il n’est quand même pas si mauvais.
Chaque mercredi, le professeur d’éducation physique et sportive demande à deux garçons de créer leurs équipes. Et systématiquement, Ted est choisi en dernier. Il sait d’avance dans quelle équipe il finira. Le premier capitaine appelle et en toute logique, à la fin, il n’y aura plus que lui, assis sur le sol et il finira dans l’autre équipe. Il espère chaque mercredi qu’il ne sera pas choisi en dernier. Ce n’est pas grand-chose, juste une fois être appelé avant-dernier pour changer.
Ses camarades ne se rendent pas compte que pour lui, c’est une souffrance. On a déjà appelé le meilleur ami, les costauds, les rapides. Il sait qu’après Sébastien, on demandera Arnaud puis Emmanuel, Jean-Christophe, l’avant-dernier sera Franck et le bon dernier, comme à chaque fois, ce sera lui. On le choisira par dépit, limite avec une sorte de dégoût, car tout le monde sait que l’équipe ne pourra pas compter sur lui. Il est le maillon faible. Les équipes sont formées.
Les jaunes contre les rouges. Ted est dans l’équipe rouge.
– Aujourd’hui, nous allons pratiquer un nouveau sport. Je l’appelle le “punching-ball”. Vous n’avez pas le droit d’utiliser vos pieds. Vous pouvez utiliser tout le reste de votre corps.
– Même la tête ?
– Même la tête ! C’est un mélange de volley, de basket et de handball. Vous pouvez lancer la balle contre les murs ou le plafond, tout le terrain est à vous. Pour marquer, c’est comme au foot. Qui veut être gardien ?
Les débuts sont un peu maladroits, les élèves hésitent, ils ont des réflexes d’autres sports. Le prof les encourage.
– Lâchez-vous !
On ne le voit pas venir, mais Ted est bien placé. Il récupère la balle, court, s’élance et marque.
– But !
Ted sourit. Il se sent bien. C’est grisant de marquer.
– Pff, un coup de chance, dit le capitaine des jaunes.
D’ailleurs, tout le monde pense comme lui. Ted se place et le jeu reprend. Il est en première ligne. Il voit son partenaire démarqué.
– Olivier, à toi !
Ted lui fait la passe et Olivier marque. Ses coéquipiers le félicitent. Le prof constate que Ted est en retrait de cette accolade collective.
– Reprise, lance le prof.
Ted s’élance et marque. Première accolade pour Ted. Ça lui fait chaud au cœur. Mais le match n’est pas encore terminé. Ses coéquipiers suivent ses instructions et ça marche à tous les coups ! Les accolades pleuvent. À la mi-temps, l’équipe adverse est défaite. Mais comment font-ils? Un état de grâce? Non! Ils sont tous centrés autour de Ted qui s’improvise leur capitaine.
– Waouh, c’est génial comme sport, dit Laurent.
– Comme on leur met la pâtée, remarque Paul.
Les membres de l’équipe jaune constatent les dégâts.
– Mais Ted est déchaîné, on ne l’arrête plus, constate Stéphane.
– J’aurais jamais cru qu’il puisse jouer aussi bien ! admet Frédéric.
– Mais il est bon ce con ! affirme Sébastien. Regarde les points sur le tableau d’affichage. On ne pourra jamais remonter au score.
Écrasante avance de l’équipe rouge. Le prof sonne le coup de sifflet de la reprise. Et Ted poursuit son offensive. L’équipe adverse est surprise. Même les membres de son équipe sont sous le choc.
– Il a bouffé du lion ou quoi ? demande Olivier.
On ne le reconnaît pas. Où est passé le nul en sport ? Les jaunes essaient de le marquer mais sans succès. Ted galvanise son équipe. Ses camarades sont sur le cul. Ted marque un maximum de buts. C’est comme une éclosion, une révélation de talent. Les membres de son équipe le félicitent.
– Bravo mec ! dit Paul.
– Continue comme ça, l’encourage Jean-Christophe.
– T’es déchaîné ! souligne Arnaud.
Ça change. Ted se rappelle quand le prof avait annoncé qu’il y aurait athlétisme, il s’était entraîné à courir le 100 mètres. Le soir après les cours, il escaladait le petit mur d’enceinte du gymnase et se rendait sur la piste. L’accès au gymnase en dehors des heures de cours était strictement interdit. Il n’en avait cure. Il aurait bien aimé avoir un entraîneur avec lui ou un camarade de classe, mais qui aurait voulu l’aider. Il venait même s’entraîner le week-end. Il était fin prêt. Il sentait qu’il avait fait des progrès même si c’était difficile de courir et de se chronométrer en même temps. Malheureusement, le jour des qualifications, il s’était fait coiffer au poteau par José. La déception fut grande même si personne ne s’en était rendu compte. La déception fut encore plus grande quand José se fit
battre par le coureur du collège de Bonne Espérance. Après l’épreuve, Ted avait demandé au vainqueur de se mesurer à lui. Ils se retrouvèrent le soir au gymnase et Ted le battit sur le fil mais le battit quand même. Dommage que personne n’ait été là pour le constater.
Puis l’enseignant annonça qu’au prochain trimestre, ils allaient pratiquer le volley-ball. Pas 36 solutions, Ted s’exerça chaque soir chez lui à sauter pour toucher le plafond. Les voisins étaient venus rendre visite à ses parents car ils entendaient de drôles de bruits. On aurait dit comme quelque chose qui tombait sur le sol. C’était assez régulier comme bruit mais ils n’arrivaient pas à le déterminer. Ce qui les intriguait, c’est que cela se passait tous les soirs à la même heure. Ted qui partait dans sa chambre, n’avait rien dit à ses parents. Secrètement, il espérait ne pas être appelé en dernier comme d’habitude. Les voisins étaient contents de mettre enfin une explication sur ce mystère sonore et lui demandèrent de continuer à s’exercer mais sans les chaussures. Cela atténuerait le bruit et de ne pas dépasser trente minutes le temps qu’ils regardent leur feuilleton dans la pièce voisine. Ted acquiesça ; sauter en chaussette ça faisait bizarre, mais c’était mieux que rien ! Il installa également son réveil pour surveiller la pendule et respecta scrupuleusement son entraînement et les instructions des voisins. Il fut naturellement appelé en dernier et ses efforts pour améliorer sa détente ne furent pas flagrants pour ses camarades de classe.
Une fois, le prof s’était énervé avec le reste de la classe.
– Pourquoi n’as-tu pas passé la balle à Ted ? D’ailleurs, il court plutôt vite et il est souvent mieux placé. Il a le sens du jeu et son esprit d’observation n’est pas assez mis en valeur. Vous devriez plus lui faire confiance. Personne n’entendit jamais les deux dernières phrases à part l’intéressé car la sonnerie avait retenti, annonçant la fin des cours. C’était bien plus important que d’écouter le prof de sport et sa ridicule théorie comme quoi Ted n’était pas si mauvais en sport.

Le jeu reprend. Sa vélocité est grande, comme quoi l’entraînement au 100 mètres a payé et comme il était souvent en retrait, il a pu observer le comportement des joueurs.
– Laurent est rapide, Paul et Arnaud jouent au foot depuis dix ans et savent parfaitement se passer la
balle, Jean-Christophe est fort – et le fait de chercher à améliorer sa détente lui procure un certain avantage.
Toutes ces heures n’ont pas été vaines. Ça lui plaît de diriger une équipe.
– À droite, passe à Laurent.
– Je suis là !
Il encourage le joueur qui a manqué de marquer le but ou qui a loupé sa passe. Olivier est en mauvaise posture. Il est encerclé par quatre membres des jaunes.
– Je suis coincé.
– Baisse-toi et frappe avec ta main. Pas besoin de dribbler comme au foot.
Olivier s’exécute, la balle passe entre les jambes de Franck des jaunes et Paul récupère la balle, la soulève et Arnaud s’élance pour marquer. Ted utilise les atouts de chacun, aucune erreur possible et ça passe. Il pense à des stratégies, elles touchent toutes au but. Le fait de pouvoir utiliser les murs et le plafond l’éclate. Ted se sent surpuissant. Son maillot rouge n’a jamais été aussi trempé. Il brille sur le terrain, il fonce telle une comète. Aucun obstacle ne peut l’arrêter. La Bérézina de l’équipe jaune prend fin. Leur calvaire fut interminable. Tous les joueurs retournent au vestiaire pour se doucher et se changer. L’équipe rouge chambre les jaunes, Ted reste discret même si en son for intérieur, c’est une véritable explosion de feux d’artifice. Le prof salue ses élèves et Ted voit qu’il y a de la fierté dans son regard. Il sent que son prof savait qu’il n’était pas si mauvais que ça. Il ne fallait qu’un révélateur.

Le lendemain, on a placardé une affiche pour le recrutement de joueurs afin de créer une équipe de “punching-ball”.
Le professeur donne rendez-vous mardi à 13 h pour cette nouvelle activité périscolaire. Ted le croise dans les couloirs.
– Tu as vu l’affiche ?
– Oui Monsieur !
– Je compte sur toi.
– Et comment !
– Je te propose même de devenir capitaine.
– Moi, capitaine?
– Évidemment !
– Je vais me donner à fond.
– Je n’en doute pas une seule seconde.
– Et je t’aiderai à continuer à courir le 100 mètres après les cours. Mais pas le dimanche.
– Vous saviez ?
Le prof a un petit sourire. En attendant mardi, Ted parle avec ses camarades de classe.
– Jean-Christophe, tu as vu l’affiche ?
– Ouais
– Je compte sur toi. On va s’éclater !
– Je vais y réfléchir.
Ted interpelle Paul et Arnaud.
– Hé vous deux, je vous attends mardi pour le “punching-ball”. L’équipe ne pourra pas se passer d’un duo comme le vôtre.
– C’est vrai que c’était top ! répondent en chœur les deux footballeurs.
– Olivier, t’es un bon buteur. On va faire un carton ensemble.
– Je sais, j’ai adoré ce sport. Mais entre les cours de guitare et la piscine, je suis pas sûr de pouvoir venir.
Ça risque de faire un peu beaucoup.
– C’est une question d’organisation. Je suis sûr que tu vas trouver une solution. Tu vas pas laisser passer une opportunité pareille.
Ted a aussi repéré les bons éléments chez les jaunes. Il les invite à venir le rejoindre mardi pour créer une toute nouvelle équipe. Il imagine le futur.
Ils commenceront petit mais il sait déjà qu’ils sont capables de gagner le tournoi inter-collèges, puis départemental, etc. Ce sport va se répandre.
Il est tellement génial. Pourquoi n’a-t-on pas pensé plus tôt à faire ce mélange de différents sports ? N’importe qui peut se révéler. Avec de l’entraînement, on peut arriver à tout. Il note sur un cahier des stratégies, des attaques, des défenses, pense à faire jouer tel joueur avec tel joueur – ils feront un bon binôme- créer des feintes, etc. Il se voit déjà recevoir la coupe ou une médaille, il entend les cris des supporters, les acclamations, les bravos, les hourras… Doucement, doucement, il faut se calmer. Il y aura peut-être aussi une équipe de pom-pom girls pour les encourager. Ça devient de plus en plus à la mode. Les filles le remarqueront-elles plus quand il sera capitaine ?
Mardi. Ted, excité comme une puce arrive avec un quart d’heure d’avance. Il salue son entraîneur et va directement se changer. Avec ses camarades, ils vont former une super équipe. Tout le monde a été emballé par leur premier match. Il se précipite sur le terrain. D’habitude, il y va comme un automate. Pour une fois, il ne sera pas le dernier appelé ! Le professeur lui donne son maillot rouge avec le numéro 1. Enfin capitaine !
Les autres vont arriver et ça va pulser. Il reste cinq minutes avant que ne commence le cours de maths de 14 h.
Le prof range ses affaires de sport dans son sac. Il n’ose regarder le tout nouveau capitaine en face. Ted retourne au vestiaire. Il défait ses baskets. Il enlève son maillot, son short. Inutile de prendre une douche…
Le capitaine avait été abandonné par son équipage. Personne n’était venu !
J’ai 15 ans à cette époque et je n’ai jamais oublié…